Peut-on réinsérer les riches, Sarah Saldmann?
Au Boulot, le nouveau film de François Ruffin raconte le « vis ma vie » de l’avocate Sarah Saldmann mise en contact de son plein gré avec la première ligne. Partager le quotidien des smicards que sont souvent les livreurs, poseurs de fibre, aides-malades, vous aide-t-il à transformer votre vision du monde, des assistés ? L’expérience ne semble pas avoir opéré sur l’avocate.
Après Merci Patron et Debout les femmes notamment, François Ruffin emmène une jeune avocate des beaux quartiers à la rencontre des livreurs, assistants médicaux, intérimaires. Le député lui propose de prendre leur place, de tenter de vivre avec le Smic. L’expérience va-t-elle transformer la vision du monde de celle qui apprécie les croques monsieur à la truffe à 56 euros du Plaza Athénée ? Un bon moment de cinéma documentaire qui n’atteint pas la force du premier film de l’amiénois, patron de Fakir.
« C’est quoi ce pays d’assistés ? De feignasses ? » « Sur le plateau de Grandes Gueules, l’avocate parisienne Sarah Saldmann s’emporte : « Le Smic, c’est déjà pas mal. » D’où l’invitation du député François Ruffin : « Je vous demande d’essayer de vivre, madame Saldmann, pendant trois mois, avec 1 300 € ». « Admettons, mais une semaine, ça sera déjà pas mal. » Alors : peut-on réinsérer les riches ?
De qui Sarah Saldmann partage-t-elle le quotidien dans le film ?
Amine Boubaker, prestataire La Poste, chauffeur livreur, Lyon. À 24 ans, Amine est diplômé d’un BEP mécanicien automobile mais épris de liberté, il a décidé de suivre une autre voie. Il exerce le métier de chauffeur livreur depuis 3 ans. Il espère passer le permis poids lourd prochainement pour pouvoir rouler sur de plus longues distances.
Mohammed Bouteldha et Illies Azougagh, intérimaires au Centre de Formation et de Professionnalisation de Grigny. À 20 ans, Mohamed et Illies ont suivi un cursus classique pour arriver jusqu’au bac. Malgré leurs notes correctes, Parcoursup ne leur a trouvé aucune suite pour leurs études. Enfants des quartiers de Grigny, de parents travaillant sur les marchés et agent d’entretien, ils ont déjà effectué plusieurs formations courtes et multiplient les missions d’intérim depuis leur bac. Avec la formation de poseur de fibre, ils espèrent décrocher un contrat fixe et pouvoir ainsi regarder vers le futur.
Nicolas Richard, réparateur en électroménager. Curieux et voyageur, Nicolas a changé plusieurs fois de vie au cours de ses jeunes années. Marin pompier, puis restaurateur, un AVC l’a éloigné du travail. Grâce au dispositif zéro chômeur, il a pu retrouver une activité qui lui plaît et pour laquelle il a passé un diplôme de réparation en électroménager.
Une journée à la poissonnerie, une demi-journée de livreur et Sarah est ok pour la retraite à cinquante ans
Est-ce que ces expériences l’ont changée ?
François Ruffin : Sur le travail, oui, très vite, une journée à la poissonnerie, et c’était fini : elle devenait favorable à la retraite à cinquante ans ! Mais elle a trouvé un subterfuge : « Vous, les salariés, maintenant j’ai compris, je vous respecte, mais il y a les assistés… » Donc, il a fallu déminer ça.
Et vous y êtes arrivés ?
Gilles Perret : (rires) Elle revient quand même très vite, et avec un grand soulagement, dans son monde !
François Ruffin : Oui, pourtant, ça répondait à un de mes fantasmes : réinsérer les riches. Déjà, dans Merci Patron ! j’espérais réinsérer Bernard Arnault, qu’il aille manger une merguez avec les Klur à la friterie “Chez Jojo“. Là, Sarah le fait, elle traverse une barrière, elle entre dans une France populaire, et on voit qu’elle en éprouve une joie…
La fâcherie
« Le vis ma vie » proposé n’a pas foncièrement transformé Sarah Saldmann. La fille du médiatique médecin et prolifique auteur Frédéric Saldmann va même se « fâcher » avec les deux réalisateurs.
Gilles Perret : Au début du tournage, Sarah Saldmann est sur RMC, et c’est la libérale contre les prolos, une affaire de classe. Mais durant l’année, elle passe chroniqueuse sur C-News, chez Bolloré, et elle bascule sur une position très droitière, contre les quartiers, les immigrés, etc. On a quitté une « gentille » Sarah à la fin du tournage, on allume la télé, et on retrouve Crella !
François Ruffin : Il y a aussi la déchirure du 7 octobre et le massacre à Gaza. Pour moi, une vie vaut une vie, les larmes d’une mère israélienne valent les larmes d’une mère palestinienne. Mais elle n’a pas un mot de compassion, juste un mot, pour les enfants qui se font tuer à Gaza. Elle soutient sans réserve la guerre menée par Tsahal. Or, nous faisons, avec elle, un film humaniste. On ne peut pas être humaniste ici et ne pas l’être là-bas.
François Ruffin : Comme le chante Stromae, notre film est là pour « célébrer ceux qui ne célèbrent pas. Pour une fois, j’aimerais lever mon verre à ceux qui n’en ont pas… À ceux qui n’en ont pas. »
Dans le domaine et pour favoriser les prises de conscience, Sorry We Missed You, de Ken Loach avait mis la barre très haut. Le quotidien d'un livreur de colis, employé par un sous-traitant d'Amazon, était d'une force incroyable. A date et selon nous, Merci Patron reste le meilleur film du député Ruffin, qui reconnait que ses aventures cinématographiques constituent un bol d'air afin de s'oxygéner du foutoir de la politique.
La rédaction d'En-Contact.