Salesforce layoffs, customer service. Marc Benioff remplace 4000 de ses salariés affectés au service client

Salesforce licencie 4000 salariés qu’il va remplacer par des agents IA. Il y a un an, il clamait que l'IA ne provoquerait pas de départs, de suppressions de postes. Hier, l'action de Teleperformance a encore baissé : 64,80 euros. Les agents IA, leurs véritables performances, coûts de revient et de mise en place et l'impact qu'ils risquent d'avoir sur les grands employeurs des centres de contacts : TP, Concentrix, Foundever, Konecta, Accenture, Alorica, Cognizant etc..
Marco Mouly a trouvé son maitre dans le secteur du CRM : Marc Benioff, devenu immensément riche grâce à son CRM proposé et loué en mode SaaS. Il peut être utile de décrypter les “encycliques* de ces papes de la tech et de l'IA.
Marc Benioff, PDG de Salesforce, considère que des agents IA sont plus efficaces et moins chers que des collaborateurs pour assurer son service client et le service commercial de niveau 1. Faut-il croire tout ce que raconte l'auteur de Trailblazer, d'où me parles-tu, questionnait Pierre Bourdieu? Klarna avait raconté la même histoire, qu'on pouvait remplacer les agents de service client par des chatbots. L'entreprise est depuis revenue depuis sur ses prévisions et relance son projet d'entrée en Bourse.

Ci-après, de larges extraits d'une interview et d'un article diffusés sur la chaine TV NBC et quelques éléments de mise en perspective
“I’ve reduced it from 9,000 heads to about 5,000, because I need less heads,"
Benioff said while discussing the impact of AI on Salesforce operations.
Salesforce has cut 4,000 of its customer support roles, CEO Marc Benioff recently said while discussing how artificial intelligence has helped reduce the company headcount.
Benioff revealed the layoffs during an interview published Friday on the Logan Bartlett Show Podcast.
“I’ve reduced it from 9,000 heads to about 5,000, because I need less heads," Benioff said while discussing the impact of AI on Salesforce operations.
Salesforce has been on the front lines of the AI revolution and has built what it calls an "Agentforce" of customer service bots.
"Because of the benefits and efficiencies of Agentforce, we've seen the number of support cases we handle decline and we no longer need to actively backfill support engineer roles," Salesforce said in a statement Tuesday to NBC Bay Area.
L’IA va ruiner la vie des gens, supprimer des milliers d’emplois car l’important, c’est la croissance
Quelques personnalités, experts, ont décrypté tout de même ces annonces et ce qui les sous-tend, une mise en perspective utile car les propos du CEO de Salesforce sont en effet un peu biaisés :
Laurie Ruettimann, consultante RH spécialisée, recommande aux salariés de développer de nouvelles compétences car l'IA va affecter de nombreux secteurs et emplois. L'analyste Ed Zitron précise lui que les compagnies sont surtout désireuses désormais de séduire les investisseurs en leur indiquant qu'elles vont s'emparer des agents IA pour être plus efficaces et rentables. "It's just a growth at all costs mindset," Zitron said. "The only thing that's important is growth, even if it ruins people's lives. Even if it makes the company worse and provides an inferior product." Peu importe que le service se dégrade, que le produit baisse en qualité, l'important est de séduire les investisseurs, avec des perspectives de croissance de la profitabilité. Or, remplacer des techniciens à la hotline, au support, des commerciaux par des agents IA qui prospectent avec des messages pré-enregistrés, diminue forcément les coûts.

Un jour blanc, le lendemain noir
Il y a un an, Marc Benioff disait exactement le contraire : “the AI won't lead to a white-collar wipeout”. En février 2024, le spécialiste du paiement fractionné Klarna indique que les agents IA parviennent à remplacer 700 personnes de son service client, ce qui va permettre 40 millions de dollars d'économie. Sebastian Siemiatkowski, son PDG, est revenu depuis sur ces assertions en indiquant, après de nombreuses plaintes de clients, qu'une relation client largement automatisée s'avérait moins efficace.
L'IA et la mise en place d'Agents est vendue cher par Salesforce.
Pour mettre en place Agentforce au sein de votre entreprise, il faut tout de même s'équiper de Service Cloud et ensuite s'acquitter de 2 euros par conversation traitée. On est donc loin, et c'est la magie du SaaS, d'un CRM frugal. En comparaison, un téléconseiller expérimenté, localisé en Afrique sub-saharienne par exemple, parvient à traiter efficacement, par exemple pour un opérateur télécom ou pour Chronopost, environ 10 conversations ou tickets de service client par heure avec une DMT -durée moyenne de traitement de 4 minutes- en dialoguant avec le client. L'heure de travail y étant vendue environ 10 euros par les spécialistes du BPO, on est a minima 50 à 60% moins cher que chez Salesforce. Si on y ajoute l'analyse de la qualité et de la conformité de la conversation, que permettent désormais des outils de speech analytics -et coûte environ 14 centimes la conversation de quatre minutes- la conversation traitée revient à 1,14 euros.
On a trop de leads ( leads : opportunité commerciale qu'il faut traiter rapidement )
Le patron de Salesforce va surtout déployer des Agents pour faire plus d'affaires, pour rappeler enfin tous les prospects que ses conventions et son marketing intensif permettent d'identifier, quotidiennement ;
“We have so many leads that we can’t follow up on them all. Salespeople basically cherry-pick what leads they want to call back. Thousands of leads, tens of thousands of leads, hundreds of thousands of leads have never been called back (..) But in the agentic world, there’s no excuse for that. Every lead can be followed up on.” Entretien du PDG avec Fortune. Traduction résumée : on a des problèmes de riches et trop de leads à traiter, à tel point que les commerciaux choisissent lesquels de ces prospects ils vont rappeler. Dans et grâce au monde agentique, tous les leads peuvent être rappelés, sollicités.
Quand il prend la parole, Marc Benioff pense donc surtout à ses intérêts, de court terme, quitte à se contredire. Mais le PDG ne finira pas, comme Marco Mouly, poursuivi par les polices du monde entier car le mouvement est global et les protestations des clients vaines. Après qu'ils ont installé et connecté leurs outils SaaS, les éditeurs sont presque indélogeables. Les experts comptables de France l'ont compris, tardivement, douloureusement, après avoir constaté l'augmentation de 300% des logiciels de paye de Silae, en situation de quasi monopole.

Enshittification. La merdification de l'expérience client est en marche
Dans un ouvrage qui devrait paraitre au mois d'octobre, Cory Doctorow, un auteur canadien, explique les mouvements et les raisons qui expliquent cette tendance pour laquelle il a créé un néologisme qu'on peut traduire par merdification de l'expérience client.
Nous sommes arrivés et parvenus à un stade où de nombreuses entreprises et plateformes ( qui avaient fait de l'expérience client, de la fluidité de celle-ci, du soin apporté à satisfaire les clients et usagers un de leurs actifs) n'ont plus intérêt à investir dans cette CX mais au contraire à augmenter leurs profits en réduisant les coûts. Tel est, en très résumé, le propos du livre, commenté ici.
Emeria (Foncia), Velux, le LCL, quand tout est sur-automatisé
Cet été, la rédaction d'En-Contact a détaillé et décrypté comment cette tendance se concrétise et pas forcément dans le bon sens, par exemple dans la banque, au LCL, dans l'équipement de la personne, chez Velux, chez les syndics immobiliers, chez Foncia, devenu Emeria. La joignabilité des services clients, propriétaires y est souvent catastrophique. Au LCL, un logiciel de CRM et de téléphonie, dénommé Flow et déployé par Worldline, a gravement dysfonctionné et rendu les agences et conseillers indisponibles, pendant de longs mois. Mais Flow n'était pas cher, trois fois moins cher que Genesys, Odigo, les concurrents.

La merdification est-elle une fatalité ? Les agents IA vont-ils tous nous remplacer ?
Non, quelques compagnies, dont des entreprises françaises, ont conçu des outils, des approches différentes et ont fait du déploiement raisonné de ces outils IA le coeur de leur offre et proposition. On peut citer à cet effet des sociétés telles que Comete.ai, Callity, AlloBrain, Volubile.ai, dont les clients sont très satisfaits ( liste non exhaustive).
— Un très grand acteur du travail temporaire vient par exemple d'améliorer la performance de ses opérations avec l'équipe de Frédéric Donati, le co-fondateur de Comète.ai.
— La DITP, l'Etat français, a amélioré l'expérience citoyens et utilisateurs avec l'IA et l'aide d'AlloBrain.
Comme j'aime et Acheel, des PME en très forte croissance, ont déployé l'écoute systématique de la voix du client dans leur service vente ou support, avec Callity.
Le secteur du retail et des magasins physiques est également concerné: plus de 600 magasins se sont équipés, en moins de deux ans, d'un logiciel Saas français, Arcane Mag, qui automatise des tâches chronophages, complexes, mais clé pour développer la performance des magasins. Pour le staffing et les plannings des magasins, le suivi des performances commerciales par conseiller, le rapprochement des données CRM, WhatsApp etc, pour ces missions missions je devais tout faire sur 35 tableaux Excel auparavant” explique Alexandre Dheilly, propriétaire à Cholet de plusieurs magasins. “J'ai amorti le logiciel en quatre mois et je ne pourrais plus m'en passer”.
Au micro de Radio Canada, Cory Doctorow expliquait, il y a plus d'un an, que l'enshittification n'était pas une fatalité.
Marc Benioff est donc:
— plus fort en communication que Daniel Julien, l'ex-PDG fondateur de Teleperformance, qui emploie plus de 500 000 collaborateurs dans le monde, est le premier employeur privé en Tunisie, en Colombie et l'un des premiers aux Philippines. Et dont le métier va partiellement disparaitre. Mais son action, cotée au CAC 40, se trainait hier à 64,80 euros.
— et plus cash et séduisant, quitte à survendre un peu l'avenir. Tôt ou tard, les grands acteurs mondiaux du BPO vont devoir acter dans leur organisation qu'ils ont trop de personnel, compte tenu de l'impact de l'IA et des performances des agents conversationnels. Probablement 15% de leurs effectifs, d'après nos prévisions et ce qui est effectivement constaté dans les centres de contacts. 15 ou 20%, pas 44,44%**.
Manuel Jacquinet.
*encyclique : lettre envoyée par le Pape à tous les évêques.
**l'annonce du PDG de Salesforce tend à faire croire que dans le secteur du logiciel, on peut gérer 44,44% des tickets de service client ou demandes commerciales, via des agents IA.
