Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres. On en sait plus sur " la meilleure réalisatrice de tous les temps"

Leni Riefenstahl, décédée à l’âge de 101 ans en 2003, a été actrice, monteuse, réalisatrice, créé des images iconiques, été proche du régime nazi. Artiste aux multiples facettes elle a suscité de vives critiques, ses archives personnelles, accessibles pour la première fois, la révèlent dans toute sa complexité. Courez voir ce film documentaire

Quentin Tarantino déclarait dans une interview au Spiegel que Leni Riefenstahl était la meilleure réalisatrice de tous les temps. « Il suffit de regarder ses films sur les Jeux Olympiques pour s’en rendre compte. » Alors, comment s’approcher d’une personnalité qui a tout fait, dans sa vie comme dans son héritage, pour maintenir ses légendes, demi-vérités et mensonges ? Pourquoi l’étude de l’œuvre et de la vie de Riefenstahl est-elle à nouveau si importante aujourd’hui ? Le réalisateur et la productrice du film partagent leurs réponses à ces questions fascinantes.

Entretien avec Andres Veiel, réalisateur

Comment avez-vous découvert ce sujet ?
Après la mort du compagnon de Riefenstahl en 2016, Sandra Maischberger a eu accès aux archives et s’est lancée dans un premier traitement et un préfinancement. En 2020, j’ai reçu les premiers documents numérisés - parfois un journal intime de 1948, parfois des enregistrements de conversations téléphoniques privées, par exemple avec Albert Speer. J’ai eu accès à des archives de photos inédites et des films en 8 mm des années 1930, ainsi qu’à des brouillons des mémoires qui différaient parfois nettement de la version imprimée. Ces découvertes ont immédiatement suscité ma curiosité, tout en soulevant des questions. Riefenstahl avait-elle laissé certains documents délibérément, en avait-elle trié d’autres ? Où devrais-je chercher d’autres sources ?

Les archives ont-t-elles été manipulées par Riefenstahl ?
Il est d’abord du droit de chacun de passer en revue ses papiers et documents et de décider ce qui doit être conservé pour la postérité. Il aurait été surprenant que Riefenstahl n’ait pas utilisé cette possibilité. Cela est du moins suggéré par certaines « lacunes » dans ses archives.

Pouvez-vous donner un exemple de ces « lacunes » ?
Nous avons trouvé une référence à une interview de Riefenstahl avec le Daily Express de 1934, mais l’interview elle-même manquait. Nous l’avons alors obtenue des archives du journal. Riefenstahl y déclare avoir lu « Mein Kampf » de Hitler en 1932 et être devenue une fervente nationale-socialiste dès les premières pages. Un tel document aurait détruit d’un coup sa légende laborieusement construite d’ « apolitique ». Cela a donc soulevé la question suivante : comment m’approcher d’une personnalité qui a tout fait, dans sa vie comme dans son héritage, pour maintenir ses légendes, demi-vérités et mensonges ? C’est ainsi que le véritable travail a commencé : m’immerger dans les 700 caisses d’archives avec l’aide de la productrice Moni Preischl et de la spécialiste en littérature Christiane Cæmmerer et malgré ma méfiance, rester ouvert à ce que ces 700 caisses pouvaient nous révéler (..)

Entretien* avec Sandra Maischberger, productrice du film

Pourquoi l’étude de l’œuvre et de la vie de Riefenstahl est-elle à nouveau si importante aujourd’hui ?
« Parce qu’elle tombe à une époque où non seulement les modèles fascistes sont à nouveau présents, mais aussi acceptés. Nous sommes également confrontés quotidiennement à la propagande, à la distorsion, aux « fake news ». La guerre et le totalitarisme menacent également nos démocraties. Elle nous montre douloureusement à quel point nos démocraties sont vulnérables et quel rôle important jouent la séduction et la décomposition par la pensée autocratique. Beaucoup de « Riefenstahl » modernes sont impliqués.

Précisément maintenant, à ce moment critique, les derniers témoins qui pourraient raconter aux plus jeunes comment tout un peuple est tombé sous le charme d’un régime criminel et de ses idéaux apparemment inoffensifs de force et de beauté, disparaissent. C’est cela dont traite « Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres ». 

La vie et l’impact de Leni Riefenstahl, centenaire, sont une clé pour comprendre les mécanismes de la manipulation, tels qu’ils nous sont à nouveau présentés aujourd’hui. Il est très difficile, voire impossible, de percer à jour un mur de mensonges que l’intéressée s’est racontés tellement de fois qu’elle les croit vrais depuis longtemps. »

Un film vu et apprécié au Balzac, sur les Champs Elysées où les salles n'ont pas toutes disparu. Merci à Jean-Jacques Schpoliansky et à ses successeurs, Etoile Cinémas et à Dulac Cinémas.

*extraits du dossier de presse du film.