Le magazine indépendant et international du BPO, du CRM et de l'expérience client.

Cuistot au studio d'Hérouville. Ce qu'appréciaient David Bowie et Fleetwood Mac

Publié le 27 juillet 2025 à 10:00 par Magazine En-Contact
Cuistot au studio d'Hérouville. Ce qu'appréciaient David Bowie et Fleetwood Mac

Le château des rock stars et ses fantômes… Entre « ripaille » et pince-fesses de David Bowie, entrez dans les coulisses du plus emblématique des studios de légende (avec la villa Nellcôte, sur la côte d’Azur ?) avec le cuisinier-musicien de Fort Boyard, Gérard Duchemann. Il fut le cuistot du studio d’Hérouville, pendant une dizaine d’années.

Elton John, David Bowie, les Pink Floyd, les Grateful Dead, Fleetwood Mac, Cat Stevens, Canned Heat, Bill Wyman, les Stones, les Bee Gees, Iggy Pop, Buddy Guy, Magma, Polnareff, Higelin, Eddy Mitchell et même le fantôme de Frédéric Chopin, tout le gratin de la pop mondiale est passé au studio d’Hérouville, au cours des années 70-80. Situé dans le petit village d’Hérouville-en-Vexin, le château, construit en 1741 (Chopin et sa maîtresse George Sand y séjournèrent), fut racheté à la fin des années 60 par le compositeur de musique de film Michel Magne (compositeur, entre autres, des bandes originales de Fantomas et des Tontons Flingueurs) qui le transforma en lieu de création sonore. Très vite, ce fêtard bien connu de Saint-Germain-des-Prés, où il côtoie la bande de Françoise Sagan, chez Castel et Boris Vian, en fait un lieu non seulement de travail mais de vie et de fête. 

Magne, qui se suicidera en 1984, notamment parce que le studio continuera longtemps de lui créer des soucis, est le premier à avoir l’idée géniale de créer un studio d’enregistrement résidentiel. On y offre aux artistes une grande liberté et un cadre exceptionnel, dans un parc de deux hectares, avec piscine, court de tennis, et un accueil de haut standing ; une dizaine de chambres et une cuisine raffinée. De somptueuses fêtes y sont organisées. Grand seigneur, Magne propose les meilleurs vins et du champagne à gogo, avec caviar et foie gras au menu. à la reprise du studio par l’équipe de Laurent Thibaut, la cuisine, le restaurant et la partie hôtel sont sous contrôle d’huissier depuis sept ans. Gérard Duchemann fait partie de la nouvelle équipe et ceci ne doit rien au hasard : l’homme fait déjà dans la « Ripaille », le nom de son groupe. Musicien, il accompagnait « Moustique », l’un des rockeurs phares du Golf Drouot, dans les années 60, qui avait la particularité d’être aussi antiquaire aux Puces de Saint-Ouen. C’était la grande période de Little Richard et de Gene Vincent, qu’il avait pris pour modèle, avant que n’arrivent Johnny et Eddy Mitchell… Ancien leader du groupe Ripaille (cf. l’album La vieille que l’on brûla, 1978), donc, leur musique fut cataloguée « progressive rock », dans le style de Genesis et Ange, en France, qui leur ont « fait de l’ombre » (dixit). Quand les affaires commencent à moins bien marcher, dans les années 80, des « potes musicos » (sic) lui proposent de « faire la bouffe » pour une tournée de Touré Kunda, puis pour Nina Hagen, à Paris : « C’était parti pour vingt-trois ans de cuisine rock ! » Voilà comment on se retrouve à nourrir Serge Gainsbourg puis son fils Lulu, encore bébé.

Le cuistot des stars du rock se dit « vintage, pas has-been », et raconte tout ceci dans un livre de souvenirs, accompagné d’un CD : « Il y avait une vingtaine de personnes qui travaillaient au château d’Hérouville. Certaines soirées au studio avaient tendance à se prolonger tard dans la nuit.

Un matin que j’étais en train de préparer le petit-déj, je vois descendre les escaliers un mec en robe de chambre, les cheveux ébouriffés, que je ne reconnais pas. Je me dirige vers lui pour le saluer et là je reconnais David Bowie. Ça m’a réveillé… Il courait après la femme de ménage – je peux le raconter, car il y a prescription, maintenant qu’il est mort – une Portugaise d’une cinquantaine d’années, qui avait, on va dire, une belle poitrine. Il ne s’intéressait pas aux petites hôtesses super mimi, non, il ne s’intéressait qu’à Perpetua (la femme de service en question) qu’il coursait dans les couloirs. C’était bon enfant, pas du harcèlement à la #metoo : elle n’a pas porté plainte mais elle râlait après moi ».

Gérard Duchemann : le cuistot des rockstars
« à Hérouville on recevait les artistes comme à la maison. Mais ils étaient chouchoutés. Quand ils séjournaient au château pour enregistrer un album, les Fleetwood Mac y étaient comme en vacances, de millionnaires, il est vrai. Personne pour les déranger : ni groupies, ni journalistes, ni photographes. Ils étaient les rois ! Un jour, je les ai vus partir à Versailles pour visiter le château, en limousines, chacun la sienne. Et ils sont revenus à cheval ! Ils ne savaient plus où ils avaient garé la limo. La chanteuse Stevie Nicks repartait tous les vendredis soir en Concorde pour passer le week-end à New York, comme le ferait une secrétaire qui rentre chez elle en RER. »

David Bowie “Low”

Des anecdotes croustillantes, Gérard en distille quelques-unes, comme celle où Ritchie Blackmore, le guitariste de Deep Purple, avait fait monter une croix géante dans sa chambre parce qu’il craignait les fantômes : « Il faut dire qu’il se passait des choses troublantes dans ce château, que j’ai moi-même vécues. Par exemple, quand les Fleetwood Mac sont venus, trois mois, ils ont trimballé six tonnes de matos : uniquement des guitares et des claviers. Et alors que je préparais l’apéro avant le déjeuner, le roadie des batteries descend les escaliers quatre à quatre, blanc comme un linge, et crie qu’il se passe un truc bizarre aux étages : le piano s’était mis à jouer tout seul, dans son dos, alors qu’il était en train d’installer les instruments. Nous, les Français du personnel, ça ne nous a pas inquiétés parce que c’était assez habituel. La nuit, on entendait souvent le piano jouer des trucs impossibles, ou alors comme un enfant qui tape avec un doigt. On savait que Chopin avait séjourné au château d’Hérouville où il venait avec George Sand. C’est tout près d’Auvers-sur-Oise, où de nombreux artistes ont séjourné. » ça bossait beaucoup entre les repas malgré les fêtes et les repas bien arrosés. Ils tournaient parfois à la bière, que leur apportait Duchemann, et à d’autres substances interdites. La femme de ménage portugaise que Bowie convoitait s’est faite engueuler plusieurs fois parce que lorsqu’ils partaient se coucher, vers 2 h du matin, ils laissaient traîner du shit ou de la coke, sur la console ou le piano. Le matin, Perpetua passait avec sa balayette et jetait tout à la poubelle. Quand ils émergeaient l’après-midi, plus rien. C’était plus embêtant quand c’était des notes sur un bout de papier qu’ils ne retrouvaient plus. 

Eric Serra, au Château d'Hérouville, collection particulière. Reprise dans le livre évoqué, sur les studios de légende. 

Gérard Duchemann confesse avoir passé de bons moments à Hérouville qu’il a fini par quitter pour créer son entreprise de restauration roulante (« Chaudevant Catering Services ») destinée aux tournages de cinéma et autres concerts de rock : « J’ai continué à rencontrer des stars du rock, comme Bob Dylan et James Brown aux Eurockéennes, à Belfort, par exemple, ou des stars du ciné comme Depardieu, Jeanne Moreau, au cinéma. Dylan avait l’art de se déguiser. La première fois que je l’ai vu débarquer pour manger, il portait un costume vert pomme, un chapeau tyrolien et avait une jambe dans le plâtre. J’ai demandé : « C’est qui celui-là ? ! » Ce jour-là, j’ai dû faire à manger pour une centaine de personnes, et trois VIP en sus Dylan et son staff, Lou Reed et son staff et James Brown… et son staff. Difficile de contenter tout le monde. C’est James Brown, complètement décalqué, qui a été le plus ch….t : il voulait tout ce qu’il n’y avait pas, ou plus. à 2 h du mat, on a fait une réunion de bilan avec mon équipe, et on a vu arriver Dylan, seul, déambulant au milieu des casseroles. Je suis allé lui serrer la main : ça reste un grand souvenir. 

J’ai également préparé de quoi manger pour Madonna, les Pink Floyd, Prince et Michael Jackson, à Bercy. Prince était courtois, cordial. Très sympa. Il nous a même fait un concert rien qu’à nous pour nous remercier. Sans oublier les Chœurs de l’armée rouge ! Et Patricia Kaas, qui m’a cassé les pieds parce qu’elle voulait du miel pour sa voix. Tous ces souvenirs sont dans mon livre* et mon disque enregistré à Rezé, un petit studio en pays Nantais. »

Autant en emporte le ventre de Gérard Duchemann.

Début 2015, un trio composé de deux ingénieurs du son, Jean Taxis et Thierry Garacino, et du financier Stéphane Marchi, a racheté le château (délabré) d’Hérouville pour lui rendre sa vocation musicale. Deux studios d’enregistrement et leurs cabines sont achevés depuis 2021.

Studios de Légende, secrets et histoires de nos Abbey Road français 

Beau livre enrichi de photographies exclusives. 352 pages. Poids : 1,3kg !
Publié par Malpaso-Radio Caroline Média.
45 euros.

 

 

 

A lire aussi

Profitez d'un accès illimité au magazine En-contact pour moins de 3 € par semaine.
Abonnez-vous maintenant
×