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La Guilde internationale du disque, 1er vépéciste de disques. Un Menuhin du pauvre en est le directeur artistique

Publié le 05 juin 2025 à 10:00 par Magazine En-Contact
La Guilde internationale du disque, 1er vépéciste de disques. Un Menuhin du pauvre en est le directeur artistique

Années 50. Pour faire du new biz, ils vendent des symphonies bidon sous la marque Guilde Européenne du microsillon. 

Nicole Croisille est décédée. Elle a beaucoup enregistré avec Claude Dejacques, un directeur artistique très talentueux qui a accompagné Barbara, Jacques Higelin, Brigitte Bardot, Gainsbourg.. Dans les années 50, le domaine du disque, vierge, voit surgir des aventuriers qui ne sont pas à un mensonge près pour enregistrer des symphonies avec des orchestres bidon dans des studios fantôme.

Dans son livre de souvenirs, Piégée la chanson, malheureusement épuisé, Claude Bergerat ( pseudo : Claude Dejacques) raconte notamment l’histoire des patrons de Concerteum, spécialistes de la recomposition de symphonies à partir .. de bandes diverses.

Les extraits repris ci-après sont issus du livre Studios de légende, secrets et histoires de nos Abbey Road français

Fin des années 50, les aventuriers du disque
Parfois, les enregistrements sont réalisés dans des studios qui n’existent pas. Comme chez Concerteum. « Les patrons de Concerteum où se situait cette scène n’avaient pas eu besoin d’inscrire de folklore à leur catalogue. Issus d’Europe centrale, juifs rescapés des camps nazis, ils étaient, dix ans après la fin de la guerre, le témoignage vivant de ce qui s’était passé. L’un des associés s’était planqué en Bretagne pendant l’Occupation, l’autre, le grand maigre, astreint à la chaise longue, n’était toujours pas guéri de la déportation. Le directeur artistique était passé par le camp de Shirmeck tandis que le directeur administratif et du personnel avait pris la bure trappiste. 

Brigitte Bardot, Alain Goraguer et Claude Dejacques en studio © Collection particulière

Enfin, le chef des services techniques, un Bulgare, avait échappé à l’étoile de la honte en ne quittant jamais les Halles où il bourrait de bottes de cresson de grands paniers d’osier dont l’un lui servait de dortoir. Deux d’entre eux avaient été dénoncés aux nazis par des voisins. Les deux autres avaient flairé le piège à temps. Trois avaient perdu toute leur famille. Ce préambule expliquera, faute de pouvoir les excuser, les curieuses manières professionnelles de mes nouveaux employeurs.

Dans les années 50, le « domaine » du disque demeurait un espace quasiment vierge. Tout pouvait s’inventer. Le microsillon 33 tours venait d’apparaître. Eddy Barclay et quelques autres se risquaient dans le 45 tours. Bien sûr, les bardes d’avant-guerre et de l’Occupation tenaient encore le haut de la rampe sous la quasi-domination du groupe Pathé-Marconi, maître ès qualité du marché. Polydor, allemand, blanchi par Philips, hollandais, commençait à mordre. Decca suivait, la tête haute, en duo avec RCA. Chant du Monde, vivifié par les productions d’URSS, installait son réseau tandis que s’implantaient, dynamiques, les Français nouveaux : Barclay, Vogue et Pacific, BAM et Le Petit Ménestrel. Américains, CBS et WEA n’étaient que distribués. Soumis à la pression de cet environnement, mes patrons ne donnaient pas dans la dentelle. Il fallait vendre très vite, n’importe quoi, n’importe comment, afin de se constituer une trésorerie dont on n’avait pas le premier centime. Alléchés par la magie du produit, les banques avançaient certes, mais se réduisaient facilement dès la première alerte. Seule solution : des bandes « récupérées ». Dieu ne sait toujours pas de quelle façon, un petit atelier de pressage avec des employés misérables, un circuit de magasins sous gérance et, bientôt, une chaîne de vente par correspondance qui se voulait à l’image de la très active Guilde internationale du disque (…)

Piégée, la chanson… ? de Claude Dejacques,Éditions Entente, 1994

Deux mois plus tard, je passai de la presse au cerclage des moules et je fis la connaissance du responsable artistique, une sorte de « Menuhin du pauvre », brisé lui aussi par la déportation, musicien, violoniste, musicologue averti que je réussis à faire rire une fois en imitant Charlot dans Les Temps modernes à travers l’atelier fumant. Dix jours plus tard, je devenais son adjoint mais pour d’étranges manigances. Faute de disposer d’enregistrements originaux, nous « recomposions » des symphonies en partant de bandes diverses dont je n’imaginais pas l’origine. Au bout de la chaîne de tout ce magouillage sortaient quatre versions de la symphonie momifiée : une, Concerteum, avec l’orchestre de Bamberg sous la direction de von Barich ; une, Spring, pour les magasins du Printemps avec l’orchestre de Dresde sous le direction avisée de Bibel Davachi ; une autre, Lafayett’s Records, avec l’orchestre de Brnö sous la direction de Zlotom Balböe, le chef hongrois bien connu ; la dernière enfin, réservée à la vente par correspondance, sous l’étiquette Guilde européenne du microsillon avec l’orchestre de Dara Volenta, et sa formation slave. C’était gros cousu comme de la toile à sac mais les mots microsillon High Fidelity suffisaient alors à glaner les gogos. Et ça n’empêchait pas les amateurs de Beethoven à prix réduit de vibrer de plaisir aux timbales de la Cinquième et de s’épanouir sur les chœurs de la Neuvième, diffusés à plein potentiomètre comme je le faisais moi-même, le matin, à peine arrivé (…) »

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