Fourniture en bande organisée de plateforme en ligne illicite

“L'incurie des shérifs dans le Far West numérique”
L’Etat va assigner la plateforme Kick, à la suite du décès de Raphaël Graven. Un peu tard ?
L'ARCOM a-t-elle pris toutes les mesures et actions possibles lorsque des signalements lui ont été faits, dès la fin 2024 puis en février 2025, par la LDH, la Ligue des Droits de l'Homme ?
A la suite du décès de Raphaël Graven en direct sur la plateforme Kick dans la nuit du 17 au 18 août 2025, Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique, a réuni à Bercy l’ensemble des administrations et autorités concernées le mardi 26 août — l’Arcom, la CNIL, les services des ministères de la Justice, de l’Intérieur dont l’OFAC qui opère la plateforme de signalement Pharos, et de l’Économie et des Finances et de la Culture — ainsi que des signaleurs de confiance.
Les mesures annoncées
L’État va assigner la plateforme Kick devant le tribunal judiciaire, sur le fondement de l’article 6-3 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). Cette action vise à prendre toutes mesures propres à prévenir ou faire cesser les dommages occasionnés par les contenus en cause dans ce drame et diffusés par la plateforme, ainsi qu’à évaluer les risques posés par d’autres contenus, au regard des nombreux signalements reçus depuis. Cette assignation intervient en parallèle de l’ouverture par le parquet de Paris d’une enquête préliminaire pour fourniture en bande organisée de plateforme en ligne illicite, sur le fondement de l’article 323-3-2 du code pénal.

Clara Chappaz a également rappelé avoir confié, avec le Premier ministre, une mission à Stéphane Vojetta et au député Arthur Delaporte le 1er juillet, sur l’encadrement de l’économie des créateurs de contenus.
Une opportunité pour les acteurs du BPO : le Trust and Safety
Rappelons que les activités de modération sont un savoir-faire et un métier très identifiés et notamment maitrisés par des acteurs tels que Teleperformance, Concentrix, Accenture.Lire ici notre reportage réalisé en Colombie, à Bogota.
L’activisme de Clara Chappaz, compréhensible au regard de l’émotion qui est née, ne parvient pas à faire oublier que les producteurs de contenus illicites, les plateformes, les producteurs de harcèlement sont régulièrement convoqués à Matignon. Aucun n’a encore fini en maison d’arrêt. Mais un patron de PME qui tue par négligence un salarié sur un chantier ou met la vie d’un collaborateur en danger, un boulanger qui ouvre son magasin le dimanche, est lui, poursuivi, très rapidement.
Dans une analyse fouillée et documentée, l'avocat Pierre-Eugène Burghardt explique ce qu'il dénomme l'incurie du shérif dans le Far West numérique.
So much ado about nothing. Tout ça pour ça ?
- La ligue des droits de l'homme, la LDH, avait saisi l'ARCOM en février 2025, l'autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, qui doit veiller, sur le territoire français, au respect par les opérateurs de plateforme en ligne de leurs obligations en matière de modération des contenus illicites. On a compris, à la lecture du communiqué de presse de l'Arcom le 20 aout, que l'autorité avait.. attendu le tragique évènement pour solliciter Kick et en connaitre le représentant légal. Six mois pour agir ?
(..) L’Arcom a été informée ce jour, par la Commission européenne, de la désignation d’un représentant légal de Kick.com à Malte. Elle a contacté ce représentant légal ainsi que le régulateur maltais chargé, de fait, de la supervision des obligations de la plateforme, afin d’obtenir des informations détaillées sur les moyens dédiés par le service à la modération francophone, ainsi que sur le cas spécifique de la chaîne « Jeanpormanove » : signalements ou plaintes reçus, mesures prises contre des contenus potentiellement illégaux, etc (..).
- Dans le passé, de nombreuses plateformes ou systèmes de messagerie sécurisés (Twitter, Telegram, Meta..) n'ont pas répondu aux requêtes judiciaires. En 2020, le service support de Twitter, devenu X, répondait aux enquêteurs “qu'il ne répondait aux réquisitions que dans le cadre de demandes de commission rogatoire internationale (..) et qu'à supposer même que ces dernières soient faites, il appliquait ses propres règles de procédure”.
- La cessation des activités de Sky ECC est par contre un exemple de la volonté et des moyens nécessaires lorsque des états ou autorités internationales veulent mettre fin à des activités illicites. La légalité des moyens qui ont été utilisés par Interpol, les autorités américaines ou françaises est contestée. Les enquêtes ont duré plus de cinq ans et nécessité la coopération de juges et de policiers dans différents pays. Ainsi que des opérations d'infiltration et de leurre incroyables.
Agir vite et légalement, le difficile équilibre
Le procès de 28 personnes soupçonnées d'avoir joué un rôle à divers degrés dans la commercialisation de la messagerie cryptée Sky ECC, prisée des narcotrafiquants, se tiendra à Paris du 26 octobre au 18 décembre 2026
Dans ce dossier, très dense 28 personnes, dont des responsables de la société Sky Global qui a développé l'application Sky ECC, des distributeurs, des revendeurs et des intermédiaires du circuit de financement, seront jugées, en leur présence ou par défaut, par la cour d'assises spéciale de Paris composée de magistrats professionnels, compétente pour le trafic de stupéfiants en bande organisée.
Parmi elles, une seule est en détention provisoire, le Canadien Thomas Herdman, considéré par les enquêteurs comme un des principaux distributeurs de l'application, ce qu'il conteste. Tout au long de l'instruction, il n'a cessé de déposer des remises en liberté, en vain. L'un de ses avocats s'en est ému auprès de l'AFP : "Comment expliquer à une personne détenue depuis quatre ans pour des faits criminels de blanchiment qu'elle conteste qu'elle sera jugée finalement dans un an et demi et qu'il ne se passera rien d'ici là?" (Me Philippe Ohayon)
Manuel Jacquinet.